Albino Crovetto, “Le vrai havre est ce bois…”, trois textes inédits d’Albino Crovetto, traduits par Emanuela Schiano di Pepe, Remue.net, 2020
Le vrai havre est ce bois
Le vrai havre est ce bois qui résonne
de bruits très lointains et voisins :
fond de vallée, coups de hache,
le gémissement du tronc,
le jus.
Les murs de pierre sèche et la mousse.
Nommer les fleurs, le jaune macéré.
Il est bon de penser au jour
où l’on atteindra la crête
et il n’y aura que de l’air, et le noir
d’un mouvement bas.
Parmi les déchets ou dans les flaques. Sous l’herbe pliée.
Dans une chambre à la lumière chaude,
la nourriture des oiseaux
et la faux
qui coupe quand c’est nécessaire.
[2013]
Pendant des années
Pendant des années on s’est entraînés dans des pièces,
on a confondu le bourdonnement du frigo et le vent rasant
déplacé des choses, dedans et dehors,
simulé des fleurs, des plantes, des grandes plaines,
des gouttières comme des troncs.
On cherchait dans le mur et dans le salpêtre
la forêt, loin,
le chant nocturne sous la lampe éteinte,
les proies dans la poussière, les restes dans les tiroirs.
On y croyait tous. L’empreinte sur le lit,
l’écho du chiffon, la marée
devant les yeux faisaient croire
que les pièces n’étaient pas vides,
que le sel brûlait et ne mentait pas,
et que la route s’arrangerait vers la terre,
vers d’autres terres et d’autres portes.
D’autres ombres se tiennent aujourd’hui derrière les vitres,
la journée est sereine, on écrit à quelqu’un
qui n’a jamais existé, ou réapparaît dans nos rêves
souriant des phrases qu’on invente
pour éviter cette pente,
masquer la chute, se tenir pourtant droits
dans nos cônes de lumières.
[2019]
Reconnaissance
Aujourd’hui j’ai révisé la ligne et la couture,
le mortier qui bloque les pierres,
les pierres d’un mur bas et ondulant,
l’empreinte fraîche dans la boue.
Quand est-ce que ce chemin a changé ?
Ce buisson n’y était pas,
le portail en fer n’existe plus,
il y a une marche, une ardoise
de plus en plus aiguisée, légère,
un pivot vissé sur rien.
[2019]
L’auteur : Albino Crovetto est né à Gênes en 1960. Il est traducteur et poète.
A publié deux recueils : Una Zona Fredda, Milano, 2004, Niebo-La Vita felice e Imposizioni, Genova, 2011, Il Canneto.
Il a traduit entre autres : Jaccottet, Dumas, Volodine, Cassou et Mirbeau.
La traductrice : Emanuela Schiano di Pepe est née à Gênes et vit à Paris. Traductrice, elle est diplomée en Lettres à la faculté de Gênes. Elle s’est spécialisée en Histoire et Civilisations à l’EHESS de Paris. Elle a enseigné la langue italienne dans différents lycées publics français. Elle fait partie de l’ARGEC, Atélier Génois de Recherche sur l’écriture contemporaine. Sa dernière traduction est le recueil de poèmes de Fabrizia Ramondino, aux Editions Publie.net.
Crédits : Photographie de l’auteur.
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